Lorsque l'on nous indique un chemin, il faut parfois savoir prendre des risques, avant qu'il ne soit trop tardCarole est sur le point de passer son ultime examen de spécialiste en gynécologie. Il va de soi qu'elle ouvrira ensuite un cabinet en province. Elle fera deux ou trois enfants, le gentil Paul s'en occupera, et assumera les travaux du « ménage ». On habitera dans la ferme des parents, au bon air de la campagne. Ainsi tout sera bien. Merveilleuse convergence des intérêts de tout le monde. Le nouveau couple exemplaire.C'est le plan, établi depuis des années, approuvé par tout le monde.Mais Carole ne veut plus de tout ça.Elle part.Reviendra-t-elle ? Est-ce qu'il la reprendra ?Éternelle histoire de l'homme qui voit son existence le fuir, par cassures subites, ou imperceptiblement, comme le sable entre les doigts : sa femme, sa famille, ses amis, ses projets, sa raison d'être.Et pourtant Paul Ch., photographe, 34 ans, prétend refuser toute rupture. À l'ère du vite pris vite jeté, du « lâcher prise », il s'entête, s'enracine, s'acharne, à l'image des paysans du coin accrochés à leurs terres sans avenir.Reviendra-t-elle ? La reprendra-t-il ?En attendant, Paul fait des centaines de photos contre la mort du pays de Carole, écrit des milliers de lignes dans son journal intime, pour transformer la solitude en royaume, et retenir, rassembler tout ce qui semble se disperser en lui-même.Ainsi ce roman de la dépossession et de la révolte, noué de tendresse et de violence amoureuses, devient-il, malgré la marche inexorable du temps, celui d'une vaste réconciliation, dans la coexistence de l'épars et de l'indéfectible ?Un roman poignant qui montre l'intensité d'une remise en question quand la routine est soudain briséeEXTRAITLe premier leur était pour ainsi dire tombé du ciel, le lendemain de la « pendaison de crémaillère ».Bien qu'il se fût couché fort tard, Jean-Baptiste Blochard s'était réveillé avec le jour et n'avait pu se rendormir au côté de sa femme.
En voilà un bon Bovard! Plus consistant que "Une leçon de flûte avant de mourir", plus charnu que "Les Beaux Sentiments", "Le Pays de Carole" lance un cri déchirant et passionné dans les brumes du Jorat. L'écrivain lausannois se met dans la peau d'un photographe soudain quitté par sa femme. ...C'est son journal durant ces quelques mois que l'on lit, le journal d'un homme meurtri, blessé, révolté, qui transpose son amour pour Carole en des centaines de photos du "Pays de Carole", ce pays paysan en train de mourir, comme son couple, qu'il pensait exemplaire. Bovard a trouvé le ton, relâché et impudique, le rythme, nerveux et intériorisé, qui collent à la voix intérieure de cet homme d'ici et d'aujourd'hui en rupture profonde, et qui peu à peu va renaître, avec ou sans elle. Dense, densément fort.
ISABELLE FALCONNIER, L'Hebdo
Histoire d'amour qui tourne court, Le Pays de Carole commence de façon banale, même si les rôles sont inversés. Mais très vite, il y a cette attention, cette sollicitude de Paul pour les choses et les vivants. Il y a aussi cette écriture de l'urgence, ces pensées jetées sur le papier, qui vont à l'essentiel comme autant d'appels au secours - une écriture en ellipses, écorchée, rapide, légère par opposition à la lourdeur d'un pays, à sa rusticité et sa solidité. Peut-être y a-t-il un phénomène de vases communicants entre Paul et ce pays: on trouve chez l'un et l'autre la même opposition au changement. Il y a enfin la photo, qui finit par y prendre une part de roi. Jacques-Étienne Bovard excelle à rendre par les mots la magie du visuel, à se glisser dans la sensibilité du photographe auquel il rend en même temps sa diginité.
Le Pays de Carole confirme ce qu'on savait déjà de l'auteur de La Griffe et des Nains de jardin. À savoir, qu'il écrit bien, qu'il est profondément attaché à son terroir et aux valeurs qui résistent à l'emprise du temps et à notre envie de facilité.
DOMINIQUE HAPPICH, Le Courrier